Pierre Jeanne
Docteur en Sciences de la Terre
Fait à Cherbourg-en-Cotentin, le 12 octobre 2024
À l’attention des garants de la concertation
Madame Dominique de Lauzières
Monsieur Jacques Lavillette
Objet : Contribution à un débat sur les conséquences d'une modification de l’entrée du port de la Cité
Lacustre de Port Grimaud et le renouvellement des eaux.
Madame, Monsieur,
Je me permets de vous écrire en tant qu’expert en géosciences, avec plus de 12 ans d'expérience dans ce domaine, dont 8 années passées au Lawrence Berkeley National Laboratory en Californie. Au fil des années, je me suis spécialisé dans le développement de modèles numériques 3D pour caractériser l'impact des activités humaines sur les processus hydro-géologiques et évaluer leurs conséquences environnementales. J'ai également servi en tant que relecteur scientifique pour des revues prestigieuses telles que Nature et Science, veillant à ce que les articles soumis respectent les critères de rigueur scientifique exigés. Mon expertise couvre un large éventail de domaines, notamment les sciences environnementales, l’hydro-géologie et la gestion durable des ressources en eau.
Dans le cadre de cette concertation, je souhaite exprimer mon inquiétude concernant le projet de construction d’une nouvelle digue à Port-Grimaud. Pour garantir la réussite et la durabilité des aménagements côtiers, il est impératif de prendre en compte les aspects hydrauliques, côtiers et environnementaux dès la phase de planification. À ce jour, je n’ai pas vu d’étude d’impact global sur les effets que la construction de cette digue, et la modification de l’orientation de l’entrée du port, pourraient avoir sur le renouvellement des eaux de la cité lacustre.
À ma connaissance, le seul document disponible est le rapport intitulé “L’origine de l’ensablement dans la zone d’avant-port de Grimaud”, réalisé par Interreg en 2018 et cofinancé par le Fonds Européen de Développement Régional. Ce rapport présente une série de simulations numériques 3D visant à comprendre et à quantifier la dynamique sédimentaire actuelle à l'entrée du port. Plusieurs solutions, notamment la construction d’une nouvelle digue et la modification de l’orientation de l’entrée du port, sont proposées pour réduire l’ensablement. Après une lecture attentive de ce rapport, j'ai relevé plusieurs points critiques :
• Erreurs dans les données d’entrée du modèle : Plusieurs paramètres mesurés sur le terrain sont mal représentés dans le modèle. Par exemple, des paramètres essentiels tels que la direction et la hauteur des vagues ainsi que la direction et la vitesse des vents diffèrent des observations in situ.
• Absence de prise en compte des phénomènes quotidiens faibles mais cumulatifs : Les phénomènes comme la remontée lente des sédiments vers la plage, associés aux houles de faible intensité et aux courants côtiers, sont ignorés dans le modèle alors qu’ils peuvent avoir des impacts à long terme.
• Résolution du modèle inégale : Si le modèle présente une haute résolution à l’entrée de Port-Grimaud, cette précision diminue rapidement à mesure que l'on s’éloigne. Cela empêche d’évaluer les conséquences que les modifications de l’érosion et des dépôts pourraient avoir sur les communes voisines et les écosystèmes protégés, notamment les herbiers de posidonie situés à proximité.
Ces points me conduisent à demander la mise à disposition de l’ensemble des rapports d'études commandés par la mairie sur ce sujet, pour pouvoir réaliser une seconde expertise pour garantir la qualité et la fiabilité des conclusions. Une réévaluation est essentielle pour éviter toute erreur méthodologique.
En outre, je tiens à souligner que je n'ai trouvé aucune étude d'impact spécifique à la modification de l’orientation et de la largeur de l'entrée de la cité lacustre sur le renouvellement des eaux. Une telle modification risque de perturber gravement les flux naturels d'eau entre la cité lacustre et la mer. Si cette nouvelle configuration réduit la circulation de l’eau en atténuant l’effet de la houle, en bloquant les courants ou en réduisant l'influence des marées, les conséquences pourraient être désastreuses.
Un renouvellement insuffisant des eaux entraînerait probablement l’accumulation de polluants, de nutriments et de matières organiques, favorisant des phénomènes d’eutrophisation (croissance excessive d'algues et de plantes aquatiques), l'apparition de mauvaises odeurs et la dégradation générale de la qualité de l'eau. À terme, cela pourrait avoir des répercussions écologiques significatives, affecter gravement la biodiversité locale, et causer des désagréments majeurs pour les riverains. Le maintien d’une bonne qualité de l’eau est essentiel et tout projet visant à modifier cet équilibre doit impérativement être précédé d’une étude globale rigoureuse.
Je reste à votre disposition pour toute clarification supplémentaire et vous remercie de prendre en
considération mes préoccupations.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Pierre Jeanne
Docteur en Sciences de la Terre
Spécialisé en hydrogéologie