Natacha Lamy
Docteure en écologie sous-marine
Port Grimaud , le 11 octobre 2024,
À l’attention des garants de la concertation
Madame Dominique de Lauzières
Monsieur Jacques Lavillette
Objet : Observations et réserves sur les projets présentés dans le cadre de la concertation de Port Grimaud
Madame, Monsieur,
En tant que Docteure en écologie sous-marine, j’ai étudié, sous l’angle environnemental et écologique, le dossier des projets présentés par la municipalité de Grimaud dans le cadre de la concertation Port Grimaud.
Port Grimaud, situé au fond du golfe de Saint Tropez, reçoit en permanence des apports d’eaux douce et marine. Il supporte des habitations et des quais. Les canaux accueillent des populations d’espèces saumâtres (Mulets, Joels, Blennies, Coques, Moules, huîtres...) et attirent des oiseaux (Grand cormoran, Goéland leucophée, Mouette rieuse, Pingouin torda...). Des nacres, une espèce en danger critique d’extinction, étaient encore visibles au moins jusqu’en 2018. J’ai également observé personnellement des coraux d’une espèce classée en danger au niveau international.
Une jetée, longue de 126 mètres, curviligne, se trouve à l’interface de ce plan d’eau qu’est Port Grimaud et du domaine marin. Elle a été construite dans les années 1969. Une fois achevée, le rivage se stabilisa totalement et la plage s’est engraissée sur son côté nord (plage de PG1). La jetée est constituée de blocs de béton coulé et de granit. Ces substrats durs offrent une surface importante pour les colonisations (feutrage algal et coralligènes encroûtants). Les empilements de blocs engendrent une variété de profondeurs, d’habitats et d’abris ou refuges (dans les interstices) pour les invertébrés benthiques et les poissons. Les peuplements de ces blocs sont dominés par des brouteurs ou racleurs, tels les oursins, les patelles, les pourpres, les juvéniles de saupes (photo ci-contre) et autres poissons benthophages (sars...). Aux abords de cette jetée, on observe aussi des poissons de pleine eau, planctonophages (joels, oblades...), toujours attirés par une richesse en particules et matières organiques dans la colonne d’eau. Au pied de la jetée, sables et mattes accueillent des rougets barbets de roche. Chez plusieurs espèces de poissons, juvéniles et adultes cohabitent. Ils sont alors considérés en phase de recrutement.
Les pressions anthropiques sur l’ensemble des eaux marines du Golfe de Saint Tropez sont nombreuses. Elles s’exercent sur les peuplements benthiques, ceux des fonds rocheux et meubles, qui en sont altérés. L’équilibre observé au niveau de la jetée reste fragile, à la merci d’une perturbation lorsque les populations sources ne peuvent plus produire des larves. Par ailleurs, les espaces naturels sur toutes les côtes sont fragmentés et des espèces qui ont une faible capacité de dispersion peuvent avoir des problèmes. Donc, cette digue située tout au fond du golfe est une chance pour les repeuplements car elle est propice aux recrutements.
Concernant le projet présenté par la municipalité de Grimaud sur la jetée, il risque de modifier les échanges avec la mer et donc tout l’équilibre écologique avec comme résultat la destruction de la biodiversité et des crises dystrophiques à répétition à venir, envahissement par les algues : malaïgues avec l’odeur d’œuf pourri, élimination des espèces migrantes comme les daurades et les loups au profit des sédentaires opportunistes, comme les gobies. La pêche des habitants de Port Grimaud sur les migrants va disparaître, d’où un impact sociétal et économique grave qui ne sera plus dans l’Esprit de l’Architecte qui a conçu Port Grimaud. Détruire ou modifier la jetée pour permettre l’amarrage de grands yachts, construire une capitainerie élargie avec emprise sur la mer, poserait donc le problème de la destruction d’un habitat qui conduira à une dégradation de la biodiversité. Les enjeux ne sont pas seulement écologiques, mais aussi socio-économiques. Les touristes, les pêcheurs, les résidents apprécieront-ils de voir la qualité des eaux se dégrader ?
La maîtrise de l’urbanisation, des pratiques portuaires, et la gestion raisonnable des eaux du bassin versant sont indispensables pour parvenir à limiter la pollution des eaux, à faire en sorte que humains et animaux puissent vivre dans le cadre qui leur est propre mais aussi commun. Que la jetée de Port Grimaud reste telle qu’elle est, avec sa splendide ligne curviligne et sa promenade, qui offre un bel aperçu sur tout le golfe.
Après un examen détaillé des scénarios présentés et des documents associés au dossier, il m’apparaît que :
1. Chacun des trois scénarios présente des risques majeurs sur l’environnement et sur l’écosystème.
2. Aucune étude ne prouve l’efficacité des mesures proposées pour lutter contre l’ensablement.
3. Aucune étude n’a été réalisée sur l’impact environnemental et sur l’écosystème marin.
Mes propres observations recensent de nombreuses espèces dont une “En Danger” au niveau international. J’avoue être très préoccupée de constater que ces éléments ne figurent pas dans les dossiers présentés par la maîtrise d’ouvrage et ses assistants.
Étant donné cette absence d’étude sérieuse sur les scénarios présentés, je ne peux que demander une prolongation de la concertation pour aborder ce sujet. Je souhaite également soulever une réserve afin d’obtenir dans les meilleurs délais les études écologiques nécessaires réalisées avec les organismes indépendants.
Ces lacunes sont préoccupantes et méritent une attention particulière. Il est essentiel que des études approfondies soient menées pour évaluer l’efficacité des solutions proposées et leur impact potentiel sur l’environnement. La préservation de l’écosystème marin doit être une priorité pour ce projet comme pour tout projet de développement côtier.
Je vous remercie de prendre en considération ces observations et réserves. Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Natacha Lamy